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Premiers témoignages latins sur Jésus
On trouvera sur cette page les
références et les traductions des témoignages de Suétone, Tacite et Pline
sur les origines du christianisme.
Suétone
Vie des douze César,Claude, XXV, 3
Traduction Henri Ailloud, tome II,
collection Guillaume Budé, Les Belles Lettres, 1957.
(Le chapitre XXV concerne diverses
mesures prises par l'empereur Claude touchant aux bonnes moeurs et à
l'ordre public)
Comme les juifs se
soulevaient continuellement, à l'instigation d'un certain
Chrestos, il les chassa de Rome.
Tacite
Annales XV, 44,
trad. Henri Goelzer, tome III,
collection Guillaume Budé, Les Belles Lettres, 1962.
Aucun moyen humain, ni
largesses princières, ni cérémonies expiatoires
ne faisaient reculer la rumeur infamante d'après laquelle
l'incendie avait été ordonné. Aussi, pour
l'anéantir, Néron supposa des coupables et infligea des
tourments raffinés à ceux que leurs abominations
faisaient détester et que la foule appelait chrétiens.
Ce nom leur vient de Christ, que, sous le principat de Tibère,
le procurateur Ponce Pilate avait livré au supplice ;
réprimée sur le moment, cette détestable
superstition perçait à nouveau, non seulement en Judée
où le mal avait pris naissance, mais encore dans Rome, où
tout ce qu'il y a d'affreux et de honteux dans le monde afflue et
trouve une nombreuse clientèle.
On commença donc par
se saisir de ceux qui avouaient, puis, sur leurs révélations,
d'une multitude d'autres, qui furent convaincus, moins de crime
d'incendie que de haine contre le genre humain. On ne se contenta pas
de les faire périr : on se fit un jeu de les revêtir
de peaux de bêtes, pour qu'ils fussent déchirés
par la dent des chiens ; ou bien, ils étaient attachés
à des croix ou enduits de matières inflammables, et,
quand le jour avait fui, ils éclairaient les ténèbres
comme des torches. Néron avait offert ses jardins pour ce
spectacle, et donnait des jeux au cirque, où tantôt, en
habit de cocher, il se mêlait à la populace et tantôt
prenait part à la course debout sur son char. Aussi, quoique
ces gens fussent coupables et dignes des dernières rigueurs,
on se mettait à les prendre en pitié, car on se disait
que ce n'était pas en vue de l'intérêt public,
mais pour la cruauté d'un seul, qu'on les faisait disparaître.
Pline le Jeune
Correspondance, livre X, lettres
96 et 97,
trad. Marcel Dury, tome IV, collection
Guillaume Budé, Les Belles Lettres, 1947.
Lettre de Pline :
Maître, c'est une
règle pour moi de te soumettre tous les points sur lesquels
j'ai des doutes : qui pourrait mieux me diriger quand j'hésite
ou m'instruire quand j'ignore ?
Je n'ai jamais participé
à des informations contre les chrétiens; je ne sais
donc à quels faits et dans quelle mesure s'appliquent
d'ordinaire la peine ou les poursuites. je me demande non sans
perplexité s'il y a des différences à observer
selon les âges, ou si la tendre enfance est sur le même
pied que l'adulte, si l'on pardonne au repentir ou si qui a été
tout à fait chrétien ne gagne rien à se dédire,
si l'on punit le seul nom de chrétien en l'absence de crimes
ou les crimes qu'implique le nom.
En attendant, voici la règle
que j'ai suivie envers ceux qui m'étaient déférés
comme chrétiens. Je leur ai demandé à eux-mêmes
s'ils étaient chrétiens. A ceux qui avouaient, je l'ai
demandé une seconde et une troisième fois en les
menaçant du supplice ; ceux qui persévéraient,
je les ai fait exécuter : quoique signifiât leur
aveu, j'étais sûr qu'il fallait punir du moins cet
entêtement et cette obstination inflexibles. D'autres, possédés
de la même folie, je les ai, en tant que citoyens romains,
notés pour être envoyés à Rome. Bientôt,
comme il arrive en pareil cas, l'accusation s'étendant avec le
progrès de l'enquête, plusieurs cas différents se
sont présentés.
On a affiché un
libelle sans signature contenant un grand nombre de noms. Ceux qui
niaient être chrétiens ou l'avoir été,
s'ils invoquaient les dieux selon la formule que je leur dictais et
sacrifiaient par l'encens et le vin devant ton image que j'avais fait
apporter à cette intention avec les statues des divinités,
si, en outre, ils blasphémaient le Christ - toutes choses
qu'il est, dit-on, impossible d'obtenir de ceux qui sont vraiment
chrétiens - j'ai pensé qu'il fallait les relâcher.
D'autres, dont le nom avait été donné par un
dénonciateur, dirent qu'ils étaient chrétiens,
puis prétendirent qu'ils ne l'étaient pas, qu'ils
l'avaient été à la vérité, mais
avaient cessé de l'être, les uns depuis trois ans,
d'autres depuis plus d'années encore, quelques-uns même
depuis vingt ans. Tous ceux là aussi ont adoré ton
image ainsi que les statues des dieux et ont blasphémé
le Christ.
D'ailleurs, ils affirmaient
que toute leur faute ou leur erreur s'était bornée à
avoir l'habitude de se réunir à jour fixe avant le
lever du soleil, de chanter entre eux alternativement un hymne au
Christ comme à un dieu, de s'engager par serment non à
perpétrer quelque crime mais à ne commettre ni vol ni
brigandage ni adultère, à ne pas manquer à la
parole donnée, à ne pas nier un dépôt
réclamé en justice ; ces rites accomplis, ils
avaient l'habitude de se séparer, et de se réunir
encore pour prendre leur nourriture qui, quoiqu'on dise, est
ordinaire et innocente ; même cette pratique, ils y
avaient renoncé, après mon édit par lequel
j'avais, selon tes instructions, interdit les hétairies. J'ai
cru d'autant plus nécessaire de soutirer la vérité
à deux esclaves que l'on disait diaconesses, quitte à
les soumettre à la torture. je n'ai trouvé qu'une
superstition déraisonnable et sans mesure.
Aussi ai-je suspendu
l'information pour recourir à ton avis. L'affaire m'a paru
mériter que je prenne ton avis, surtout à cause du
nombre des accusés. Il y a une foule de personnes de tout âge,
de toute condition, des deux sexes aussi, qui sont ou seront mises en
péril. Ce n'est pas seulement à travers les villes,
mais aussi à travers les villages et les campagnes que s'est
répandue la contagion de cette superstition; je crois pourtant
qu'il est possible de l'enrayer et de la guérir.
Il n'est certes pas douteux
que les temples, qui étaient désormais presque
abandonnés commencent à être fréquentés,
que les cérémonies rituelles longtemps interrompues
sont reprises, que partout on vend la chair des victimes qui jusqu'à
présent ne trouvait plus que de très rares acheteurs.
D'où il est aisé de penser quelle foule d'hommes
pourrait être guérie si l'on accueillait le repentir.
Rescrit de Trajan (réponse officielle de l'empereur) :
Mon cher Pline, tu as suivi
la conduite que tu devais dans l'examen des causes de ceux qui
t'avaient été dénoncés comme chrétiens.
Car on ne peut instituer une règle générale qui
ait, pour ainsi dire, une forme fixe. Il n'y a pas à les
poursuivre d'office. S'ils sont dénoncés et convaincus,
il faut les condamner, mais avec la restriction suivante : celui
qui aura nié être chrétien et en aura, par les
faits eux-mêmes, donné la preuve manifeste, je veux dire
en sacrifiant à nos dieux, même s'il a été
suspect en ce qui concerne le passé, obtiendra le pardon comme
prix de son repentir. Quant aux dénonciations anonymes, elles
ne doivent jouer aucun rôle dans quelque accusation que se
soit ; c'est un procédé d'un détestable
exemple et qui n'est plus de notre temps.
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