1- Les sources non-chrétiennes

Introduction

La première partie de l'exposé du CZ porte pour titre "pauvreté des sources profanes". Par " sources profanes", le CZ entend manifestement "sources non chrétiennes". Dans l'analyse de ces sources, nous allons constater un grand nombre d'erreurs factuels et de raisonnements biaisés. Mais cet examen fera l'objet de la deuxième partie de cet article : dans un premier temps, nous allons considérer la façon dont le CZ exploite l'argument du silence.

L'argument du silence

Nous avons dit ailleurs combien l'argument du silence devait être utilisé avec précaution. Nous avons ici un exemple caricatural des excès auquel cet argument peut mener. Le CZ nous dresse une liste exubérante des auteurs gréco-latins qui n'ont pas parlé de Jésus. Bien que le CZ n'en tire pas de conclusion explicite, le but qu'il poursuit en dressant cette liste est évident. L'énumération de témoignage négatif ne peut qu'impressionner le lecteur par sa longueur : tant d'auteurs de premier plan qui n'ont pas parlé de Jésus, cela cache obligatoirement quelque chose de louche...

Mais sommes-nous sûrs que les auteurs gréco-latins auraient dû nous parler de Jésus ?

Juvénal

Interroger Juvénal, par exemple, à la recherche d'information sur Jésus, semble pour le moins audacieux. Ce satiriste latin consacre son art à la critique de la Rome de son temps. Jésus, petit prophète d'un royaume satellite, à deux mille kilomètres de là, ne fait pas partie du même monde. Il n'y a donc aucune raison de trouver dans l'oeuvre de Juvénal la moindre allusion à Jésus. Ceux qui s'en étonnent pourraient aussi facilement s'étonner que Jésus n'ait pas laissé ses empreintes digitales ou sa fiche anthropométrique.

Pour l'historien, le silence des satiristes latins sur Jésus est tout naturel, tout autant que celui des poètes, des philosophes, des architectes, des agronomes ou des militaires.

Ainsi, pour utiliser correctement l'argument du silence, il ne suffit pas de s'appuyer sur le silence de tel ou tel auteur ; encore faut-il être en mesure, au minimum, de donner les raisons pour lesquelles on estime que l'auteur aurait dû rompre le silence, de montrer à quel endroit dans son oeuvre il aurait dû nous donner un renseignement. Faute de faire ce travail, l'invocation à Juvénal est sans portée.

L'exemple de Juvénal suffit, et vaut pour l'ensemble des auteurs dont le CZ néglige de nous expliquer en quoi leur silence pose problème à la thèse standard. Nous n'allons pas reprendre la liste de ces auteurs, et nous n'examinerons maintenant l'argument du silence que pour les seuls auteurs pour lesquels le CZ nous propose des raisons de s'étonner de leur silence. Nous allons voir ce que valent ces raisons.

Pline l'Ancien

Nous allons commencer par Pline l'ancien, le premier dont le CZ va nous expliquer pourquoi il aurait dû parler de Jésus :

- Pline l'Ancien (23-79) ne souffle mot de Jésus ni d'une communauté chrétienne de Jérusalem, alors qu'il visite la Palestine trente ans après les événements supposés et qu'il prend soin de noter la présence des esséniens;

C'est donc parce qu'il a visité la préfecture de Judée (qui n'est pas encore la Palestine) que Pline serait un témoin fiable, et son silence sur Jésus et sur les chrétiens prend du relief du fait qu'il mentionne la présence de esséniens.

Ce que le CZ néglige de préciser, c'est que les esséniens constituaient à l'époque un groupe bien plus visible que celui de Jésus. Il y a une porte des esséniens à Jérusalem à cette époque, ce qui signifie que cette communauté était importante. Si l'on regarde combien de chrétiens sont comptés à Jérusalem par les Actes des Apôtres, qui probablement gonfle les chiffres, on tombe sur quelques milliers, ce qui en fait une congrégation sans doute modeste pour l'époque.

Pour mesurer la distance entre les premiers chrétiens et les esséniens, basons-nous sur la durée qui sépare la naissance de ces deux mouvements : la secte essénienne a été fondée au moins un siècle avant la mort de Jésus, et sans doute même deux siècles avant. Or les premiers auteurs qui nous parlent de la secte essénienne sont Flavius Josèphe et Pline l'Ancien, plus de 150 ans après les premiers esséniens. Voilà qui nous donne l'échelle raisonnable quant à la durée que nous devons attendre entre la naissance du christianisme et son apparition dans les textes gréco-latins. Trente ans après les faits, la secte chrétienne est encore trop petite pour attirer l'attention de Pline l'Ancien, et s'étonner du contraire relève, à tout le moins, de la naïveté.

Philon d'Alexandrie et les "témoignages juifs"

Si l'on s'intéresse aux témoignages juifs sous le motif que "Jésus a vécu parmi ce peuple et qu'il est l'un des siens", force est de constater que Philon ne devrait pas être concerné par notre enquête : Philon était juif par sa religion, et il était avant tout membre du milieu hellénophone d'Alexandrie. Il manifeste une connaissance certaine de l'histoire politique de Jérusalem au temps de Jésus, mais il n'a probablement jamais senti la moindre affinité pour le peuple de Galilée dont Jésus est issu. S'il l'a visitée, c'est en riche touriste, comme un chrétien européen pourrait visiter aujourd'hui les Philippines sans se sentir appartenir au peuple catholique qui y habite.

Jésus dans la société de son temps

Admettons néanmoins que Philon, parce qu'il s'intéresse à Jérusalem, la ville sainte de Dieu, aurait pu être amené à entendre parler de Jésus. Mais sommes nous sûrs que la stature de Jésus aurait dû obliger Philon à mentionner son existence ? Les thèses historiques courantes voit en Jésus un petit prophète, un illuminé ou un sage, mais sans jamais lui accorder une grande influence sur le cours de l'histoire de son époque. Les Évangiles autant que les Actes des apôtres ont sûrement eu tendance à exagérer les effectifs. Même aux plus grandes affluences, ils ne nous parlent que de quelques milliers de personnes. Quel qu'ait pu être le charisme de ce Jésus sur son cercle de proches, aucun historien ne voit en lui un chef ayant soulevé durablement les foules, les menant derrière lui à l'assaut de Jérusalem. Pourquoi devrions-nous nous attendre à voir Jésus jouer un rôle, même mineur, dans les récits de Philon ?

Nous posons la question pour Philon, mais nous pouvons la poser aussi pour tous les autres historiens qui n'ont pas parlé de Jésus : par exemple Plutarque...

Ces historiens nous parlent-ils de tous les gens de l'époque de Jésus qui avaient une assise sociale supérieure ? Mentionnent-ils les noms de tous les grands prêtres ? Des commandants de la garde du temple ? Des adjoints de Pilate ? Des chefs des sectes esséniennes et pharisiennes ?

Tous ces personnages avaient une importance largement supérieure à celle de Jésus tel qu'il est décrit par les historiens. Ceux qui ne sont pas nommés par Philon, Suétone ni Plutarque, devons-nous en conclure qu'ils n'ont pas existé ? Assurément non.

Jésus comparé à Saint Paul et à Jean le Baptiste

Les grands prêtres, les commandants de la garde du temple, les chefs de sectes, les gradés romains, ces personnages que nous venons d'évoquer sont très différents de Jésus. Certes ils étaient socialement plus élevés par leur naissance ou leurs fonctions politiques, mais ils ont vécu plus tranquillement. Ils n'ont pas fait d'agitation religieuse, et ils n'ont pas été exécuté à cause de cela. Un historien aurait ainsi beau jeu de nous répondre que tous ces dirigeants n'ont pas laissé de trace parce que leur vie et leur mort furent trop ordinaires pour susciter l'intérêt des historiographes. Jésus, agitateur religieux, avaient plus de droits à figurer dans les chroniques de son temps.

Si donc le destin de Jésus ne peut être comparé à celui du commandant de la garde du temple, nous connaissons d'autres personnages historiques dont le destin est plus proche de celui que l'on attribue à Jésus. Le plus intéressant est sans doute Jean le Baptiste.

Contemporain de Jésus, Jean le Baptiste est décrit lui aussi comme un agitateur religieux qui suscite l'intérêt du peuple et qui, comme Jésus, est mis à mort par les autorités politiques. La notoriété de ces deux personnages devrait donc être comparable, et dans le cadre de la thèse standard, ils devraient avoir laissé dans l'histoire des traces à peu près équivalentes.

Si un auteur ne parle pas de Jean le Baptiste, il est alors tout à fait normal qu'il ne parle pas de Jésus, et celui qui prend le silence sur Jésus pour une preuve de son inexistence, devrait se sentir tenu de proclamer de la même façon l'inexistence de Jean le Baptiste, sur la foi des mêmes arguments.

Et que dire alors de Saul de Tarse, alias Saint Paul ? Citoyen romain, lettré, inséré dans la société marchande de son époque, Paul avait sûrement une stature sociale bien plus importante que celle de Jésus ou de Jean le Baptiste. Sa prédication, s'il faut en croire les témoignages, dura bien plus longtemps que celle de Jésus, et en des lieux bien plus en vue que Jérusalem : Athènes, Éphèse, Corinthe, Rome... Quelle trace a-t-il laissé chez les historiens de cette époque ?

Répondons à ces questions : Jean le Baptiste est absent de tous les témoignages gréco-latins sauf celui de Flavius Josèphe. Quant à Saint Paul, le silence sur lui est total. Devons nous comprendre que pour le CZ, ces personnages seraient totalement inventés ? Nous posons la question pour Saint Paul et Jean le Baptiste, mais elle concerne aussi bien tous les autres acteurs des origines chrétiennes : Jacques le Juste, Simon-Pierre, Polycarpe, Papias, et même Irénée...

Nous n'avons pas de témoignages fiables, au sens où le CZ comprendre la fiabilité, sur la moitié des personnalités des deux premiers siècles de l'Église. Pas un historien pourtant n'aurait l'idée de nier leur existence.

En réalité, la méthode du CZ consiste à isoler Jésus de son contexte, à ne le considérer que sous l'angle du fondateur de religion. Mais c'est là un gros anachronisme que de réclamer des historiens antiques qu'ils offrent des précisions spécialement sur Jésus au motif que sa secte a grossi plus tard jusqu'à devenir une religion établie.

Juste de Tibériade

Avant de quitter l'argument du silence pour nous pencher sur les témoignages positifs, nous tenons à nous attarder encore sur le cas de Juste de Tibériade. Le CZ en effet observe, concernant Jésus :

-Rien dans l'Histoire des Juifs de Juste de Tibériade, au nom qui rappelle sa Galilée natale, où il a vécu et combattu les Romains;

Il serait sûrement intéressant de vérifier que Juste de Tibériade n'a rien dit de Jésus. Comme nous le suggérons ci-dessus, il faudrait aussi dans le même temps contrôler ce que le même auteur a dit au sujet de Jean le Baptiste. En lecteur naïf, pourquoi ne pas tenter de vérifier directement dans les textes de Juste de Tibériade ? Mais une belle surprise nous attends : aucun ouvrage de Juste de Tibériade n'est parvenu jusqu'à nous. Tous sont aujourd'hui perdus. Comment donc le CZ peut-il affirmer péremptoirement qu'il n'y a rien sur Jésus dans les oeuvres de Juste de Tibériade ? Les archéologues du CZ ont-ils trouvé un manuscrit inédit ?

Vous n'y êtes pas ! Le renseignement fourni par le CZ provient selon toute probabilité des oeuvres de Photius, patriarche de Constantinople, qui, au moyen age, a compilé de nombreuses oeuvres de l'antiquité.

La première chose que nous observons, c'est l'étrange confiance que le CZ entretient vis-à-vis de ce Photius. Si le même Photius nous avait annoncé que Juste de Tibériade avait fait référence à Jésus, nos mythistes ne considèreraient-ils pas le renseignement comme peu sûr ? Ils n'auraient peut-être pas tort, car nous savons que ce Photius a laissé dans l'histoire des preuves de désinvolture envers la réalité des faits. Par ailleurs, Photius a vécu au IXe siècle. Comment savons-nous qu'il a eu accès aux ouvrages de Juste de Tibériade dans leur intégralité ?

Notre objectif n'est pas de mettre en doute le témoignage de Photius, qui a pu consulter à Constantinople l'oeuvre de Juste de Tibériade dans une édition fidèle. Ce que nous tenons à mettre en lumière, c'est que le CZ nous assène ce silence de Juste de Tibériade sur Jésus comme s'il avait pu contrôler le texte de original dans une bibliothèque publique, alors que le renseignement nous vient en réalité d'un compilateur tardif. Soit le CZ ignore la disparition des textes de Juste de Tibériade, et il répète sans le vérifier un argument lu ailleurs. Soit il sait que Juste ne nous est connu que de seconde main, d'une seconde main qu'un intervalle de plus de huit cents ans sépare de sa source. Dans un cas comme dans l'autre, la rigueur zététique semble curieusement élastique.

Mais admettons donc que Juste de Tibériade n'ait pas parlé de Jésus. Comment pouvons-nous être sûr qu'il aurait dû le faire ? Ce n'est pas parce que Juste est né à Tibériade (si tant est qu'il soit né à Tibériade) que ses oeuvres étaient centrées sur les agitateurs galiléens de son temps. Nous ne savons pas ce que Juste a dit de Jean le Baptiste. Nous n'avons aucun moyen d'évaluer si son silence sur Jésus était normal ou pas.

Faute d'élément de comparaison permettant de prouver que ce silence sur Jésus est aberrant, l'argument du silence est une fois de plus sans portée.

Les renseignements positifs

Nous allons examiner maintenant les auteurs qui nous ont transmis quelques renseignements positifs sur les origines du christianisme. Les quatre auteurs que nous passons en revue sont Suétone, Tacite, Pline le Jeune, et Flavius Josèphe. Pour chacun d'eux, nous allons vérifier l'incapacité du CZ à tenir la balance égale entre la thèse mythiste et la thèse standard.

Suétone

- Suétone (69-125), dans sa Vie de Claude, écrit que l'empereur " chassa de Rome les juifs qui s'agitaient sans répit à l'instigation de Chrestus ". L'opération se passe en 50 - or l'on fait mourir Jésus aux alentours de l'an 30. De plus, Christos et Chrestos sont deux mots différents, l'un signifiant " l'oint " (désignant une personne consacrée), l'autre se traduisant par " le bon " et faisant parfois office de nom propre (le préfet du prétoire Ulpien avait un adjoint qui portait ce nom, par exemple). On ne tire pas grand chose de tels passages.

Remarquons pour commencer que le témoignage de Suétone, comme la plupart des textes de l'antiquité qui nous sont parvenus, a été recopié plusieurs fois par des copistes chrétiens. Ces derniers ont eu la remarquable honnêteté de conserver le "Chrestos" alors qu'un "Christos" aurait été plus conforme à leurs vues. On mesure là que s'il ne faut pas sous-estimer les déformations subies par les textes au fil des diverses recopies, il ne faut pas non plus tomber dans la paranoïa en suspectant derrière chaque texte une manipulation des copistes chrétiens.

Il est naturellement impossible de prétendre que le Chrestos dont il est question ici est Jésus de Nazareth qui serait venu enseigné à Rome. Mais dans ce cas, de qui s'agit-il ? Il peut s'agir d'un personnage absolument sans rapport avec le christianisme. La coïncidence serait étrange, mais pas impossible, puisque Chrestos, est effectivement un nom propre attesté par ailleurs.

Une autre interprétation est possible. Elle consiste à dire que ce "Chrestos" est Jésus-Christ, le fondateur de la secte, à qui Suétone attribue par erreur une activité, alors qu'il est mort depuis vingt ans et que ce sont ses idées seulement qui provoquent les remous parmi les juifs de Rome. C'est l'opinion soutenu par de nombreux historiens, qui voient dans cette épisode romain une dispute entre ceux des juifs qui acceptaient la religion naissante et ceux qui la refusaient.

Quoiqu'il en soit, l'interprétation mythiste ici ne peut s'appliquer à ce témoignage, car Suétone précise bien que l'affaire a lieu en milieu juif et non pas païen : si Suétone se trompe en attribuant à un homme ce qui appartenait à un dieu du panthéon juif, nous nous heurtons à l'une des difficultés fondamentales des thèses mythistes : le panthéon juif est constitué d'un dieu unique qui n'a jamais été appelé ni "Christos", ni "Chrestos".

Ajoutons que plusieurs livres de vulgarisation mentionnent que Christos et Chrestos, en grec, ont une prononciation voisine. Par ailleurs "Chrestos" avait une signification limpide pour un romain hellénisant comme Suétone, alors que "Christos" était moins clair, faisant référence à un rite d'onction purement juif, ce qui expliquerait qu'un romain peu versé dans l'histoire juive se soit laissé aller à substituer "Chrestos" à "Christos". Toutes ces précisions étayent l'idée d'une confusion due à Suétone ou à l'une de ses sources. Le CZ a sûrement des raisons lumineuses pour les passer sous silence.

Au delà de la rétention d'information pratiquée par le CZ, retenons que si le témoignage de Suétone n'offre aucune certitude quant à la thèse standard, du moins remarque-t-on qu'il pourrait s'accorder avec celle-ci, et non pas avec la thèse mythiste.

Tacite

- Tacite (55-120), dans un texte de ses Annales, composé vers 115, aurait raconté la persécution des chrétiens de Rome par l'empereur Néron. Celui-ci les aurait accusé d'avoir allumé l'incendie qui ravagea la Ville en l'an 64. Tacite est censé avoir précisé que le nom de ces chrétiens " leur venait de Christ qui sous Tibère, fut livré au supplice par le procureur Ponce Pilate ". Mais, comme l'ont prouvé les historiens critiques, ce pseudo-témoignage est une interpolation;

Ce qu'affirme le CZ ici semble grossièrement faux.

Faute de références précises, nous n'avons pas les moyens de réfuter les arguments de ces "historiens critiques" qui auraient "prouvé" que le témoignage de Tacite est une interpolation. C'est d'autant plus regrettable que les historiens, dans leur écrasante majorité, tiennent ce témoignage pour authentique.

Leur sentiment repose sur deux catégories d'arguments. Les premiers sont les arguments de stylistique, cités par exemple par Graham Stanton, selon lesquels ce passage semble bien de la plume de Tacite. Ce sont là arguments de spécialistes, difficile à évaluer, et sur lesquels nous ne nous apesantirons pas. La deuxième catégorie d'argument est plus accessible au public amateur. Il consiste à examiner le texte de Tacite pour essayer de comprendre comment une interpolation a pu être introduite dans le texte de Tacite. Après avoir dit que la rumeur publique accusait Néron d'être l'instigateur du grand incendie de Rome, Tacite poursuit :

Aucun moyen humain, ni largesses princières, ni cérémonies expiatoires ne faisaient reculer la rumeur infamante d'après laquelle l'incendie avait été ordonné. Aussi, pour l'anéantir, Néron supposa des coupables et infligea des tourments raffinés à ceux que leurs abominations faisaient détester et que la foule appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ, que, sous le principat de Tibère, le procurateur Ponce Pilate avait livré au supplice ; réprimée sur le moment, cette détestable superstition perçait à nouveau, non seulement en Judée où le mal avait pris naissance, mais encore dans Rome, où tout ce qu'il y a d'affreux et de honteux dans le monde afflue et trouve une nombreuse clientèle. ( Tacite, XV, 44. trad. Henri Goelzer - ed. Budé)

Pour quelle raison ce passage aurait-il été interpolé, et par qui ? Le passage est négatif vis-à-vis des chrétiens. Si ce passage n'est pas de Tacite, qui donc a bien pu parler du christianisme comme d'une "détestable superstition" ? Qui a interpolé ce texte pour y mettre des propos anti-chrétiens ? Sûrement pas un interpolateur chrétien ! Et si ce n'est pas un chrétien, qui aurait eu l'idée de rajouter cette notice à cet endroit ? Il est donc presque certain que Tacite est bien l'auteur de cette allusion à Jésus ; certains mythistes, tel Paul-Louis Couchoud, arrivent même à en convenir.

Chez Tacite, nous avons donc trouvé une mention de Jésus qui a toutes les apparences de l'authenticité. Chez le CZ, nous avons trouvé cette critique péremptoire mais qui à l'examen se révèle infondée.

Pline le Jeune

- Pline le Jeune (62-114), gouverneur de Bythinie, demande à son ami l'empereur Trajan en 112 " comment il convient de se conduire à l'égard des chrétiens ". Mais il ne nous apprend rien sur l'existence de Jésus. Tout juste signale-t-il l'existence d'une communauté chrétienne au début du IIe siècle, mais l'on ne prouve pas l'historicité d'un dieu par la croyance de ses fidèles, sinon il faudrait croire à celle d'Hercule, de Marduk, d'Apollon, d'Asclépios dont les anciens vénéraient les tombeaux, respectivement à Cadix, Babylone, Delphes, Épidaure...;

Nous avons ici un exemple sans importance quant au fond du débat, mais caractéristique quant à la forme, des approximations mythistes. Lorsque le CZ écrit de Pline : "tout juste signale-t-il l'existence d'une communauté chrétienne", le lecteur pourrait imaginer que c'est d'une petite secte qu'il s'agit. S'il va lire Pline dans le texte, il découvrira que la petite secte en question est accusé d'avoir failli mettre les temples en faillite, avant que Pline ne vienne rétablir l'ordre dans la province qui lui a été confiée.

Certes, Pline a pu exagérer la chute de fréquentation des temples avant sa prise de fonction (et oui, il n'y a pas que les auteurs chrétiens qui ont tendance à enjoliver leurs récits). En noircissant la situation antérieure, il mettait en valeur l'efficacité de sa répression contre la secte chrétienne. Mais quelques soient les exagérations qu'il ait pu se permettre, Pline le Jeune était un fonctionnaire loyal, et son témoignage est considéré comme valide. Les vrais historiens ont tendance à en conclure que les chrétiens, au début du IIe siècle, constituaient déjà par endroit des communautés importantes.

Cela nous conduit à penser que les lignes principales du dogme étaient fixées dès cette époque, car il est plus facile de changer le dogme dans une petite secte que dans un groupe religieux important. Or les mythistes ont besoin, pour les besoins de leur thèse, que la théologie et la tradition chrétienne se soit modifiées du tout au tout entre l'an 100 et l'an 150. La mention d'une communauté chrétienne ancienne et importante en 112 en Bythinie (c'est-à-dire sur les rives de la Mer Noire) les gêne considérablement.

Quant au fond du débat, les mots utilisés par Pline permettent de voir ce que représentait ce "Christ" aux yeux des chrétiens avec qui il avait eu affaire :

... ils affirmaient que toute leur faute ou leur erreur s'était bornée à avoir l'habitude de se réunir à jour fixe avant le lever du soleil, de chanter entre eux alternativement un hymne au Christ comme à un dieu (quasi deo)...

Le mot "quasi" utilisé par Pline est sans équivoque : les chrétiens honorent ce Christ comme un Dieu, mais ce n'en est pas un réellement. Il s'agit donc d'un homme, probablement le fondateur de la secte (comme Pythagore est le fondateur de la secte des pythagoriciens, et Epicure le fondateur de la secte des épicuriens, il est normal que "Christus" soit le fondateur de la secte des "christiani").

Si Pline avait voulu dire que Christ est le nom du dieu des chrétiens, il n'aurait pas utilisé ces mots qui semblent exprimer exactement le contraire.

D'autre part Pline n'aurait pas eu de motif de considérer les chrétiens comme des gens condamnables. Leur comportement est à peu près correct (à peu près seulement, car se réunir en secret avant le lever du soleil est considéré comme dangereux pour l'ordre public, mais Pline a des raisons de penser que les chrétiens ne sont pas des comploteurs). Si Pline persiste à condamner les chrétiens, c'est parce que rendre les honneurs divins à un homme crucifié par Pilate, c'est à dire à un révolté contre l'empire romain, représente, pour le pouvoir romain, une apologie de la sédition.

Nous avons ainsi un exemple de cas où la thèse classique de l'existence de Jésus est productive : elle permet d'expliquer un détail (l'acharnement contre les chrétiens par des responsables politiques intelligents qui reconnaissent pourtant que le comportement des adeptes n'est pas criminel) en s'appuyant sur le comportement factieux que représente le culte rendus à un supplicié.

Peut-être les mythistes ont-ils une meilleure explication pour expliquer le comportement de Pline ? Nous avons cherché dans divers ouvrages mythistes, sans succès. Nous restons ouverts à toute proposition pouvant se substituer à l'explication de la thèse classique.

Quoiqu'il en soit, on notera que le commentaire du CZ sur le texte de Pline évite soigneusement la question.

Flavius Josèphe

- Peut-on faire mention du témoignage de Flavius Josèphe (38-94)? Dans ses Antiquités judaïques, on a cru trouver un passage significatif où l'historien évoque en Jésus " un homme sage, si toutefois il est permis de l'appeler un homme ", qui " était le Messie ". Il est aujourd'hui établi que ce passage est une forgerie chrétienne que ce juif pharisaïque n'aurait pu écrire sans aussitôt " courir au baptême ". Origène (185-354) assure que Josèphe " n'a pas montré que Jésus est le Christ " : l'ajout a donc été effectué par la suite;

Le témoignage de Flavius Josèphe est une pièce délicate dans le dossier de l'historicité de Jésus. Les historiens contemporains ne sont pas tous d'accords sur ce témoignage, mais une majorité d'entre eux, s'appuyant sur des arguments variés, estime que la notice de Flavius Josèphe sur Jésus est authentique pour l'essentiel, et que seules les professions messianiques sont le résultat d'une modification introduite par un copiste chrétien.

Ils estiment par exemple qu'à l'exception des insertions de tonalité chrétienne le vocabulaire de cette notice est typique de Flavius Josèphe. De fait, tous les arguments de critique interne (ceux qui concernent directement le texte) plaident pour l'existence d'une notice de la main de Josèphe, modifiée ensuite dans un sens chrétien.

Il en est de même des arguments de critique externe, c'est-à-dire portant sur les références postérieures : ainsi, si Origène a écrit que Josèphe "n'a pas montré que Jésus est le Christ", cela ne veut pas dire Josèphe n'a rien écrit sur Jésus. Pour Origène, Flavius Josèphe parle de Jésus sans reconnaître qu'il est le messie. Si Origène avait voulu écrire ce que le CZ veut lui faire dire, il l'aurait écrit plus clairement.

De fait, si l'on fait confiance au témoignage d'Origène, on est obligé de conclure que dans le texte qu'il a eu sous les yeux, Jésus n'était pas reconnu comme Messie, mais apparaissait bel et bien comme un personnage historique.

Les mythistes peuvent s'en sortir en imaginant que Flavius Josèphe a été interpolé une première fois avant Origène, et une seconde fois après. Mais ce genre de scénario, outre qu'il sent la construction ad hoc, est très peu vraisemblable. Cette première interpolation, intervenue avant la lecture d'Origène, défierait à elle seule toute vraisemblance. Avant Origène, le christianisme était encore une secte persécutée qui n'avait pas le pouvoir de censurer les oeuvres des historiens, et qui avait de toute façon autre chose à faire.

Notre objectif n'est pas de discuter le témoignage de Josèphe, et nous renvoyons pour cela à l'excellente notice (en anglais) que Peter Kirby consacre à ce problème. Le lecteur y découvrira entre autre qu'il y a non pas une mais deux références à Jésus dans les antiquités judaïques. La seconde est certes plus courte que la première, mais elle est aussi plus difficile a dénoncer, et c'est pourquoi les mythistes évitent d'en parler.

Conclusion

Dresser la liste des auteurs qui n'ont pas parlé de Jésus est un jeu puéril qui n'apporte aucune information (ni aucun doute) quant à l'historicité de Jésus. En accumulant les exemples de silences sur Jésus, sans jamais nous expliquer en quoi ces silences posent problème à la thèse standard, le CZ fait preuve d'une absence de méthode historique manifeste.

Mais il y a plus inquiétant. En tronquant des citations minimales qui isolent les mentions de Jésus de leur contexte (Pline le Jeune), en présentant comme interpolations certaines les témoignages de Flavius Josèphe et de Tacite, alors que le premier est encore en débat aujourd'hui, et que l'authenticité du second est tenue pour établie, en passant sous silence les éléments qui gênent sa théorie (la disparition des ouvrages de Juste de Tibériade) le CZ manifeste un biais systématique en faveur de la thèse mythiste.

 




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Références

  • Pour l'examen des témoignages grecs et latins sur les origines du christianisme, on consultera encore et toujours le site de Peter Kirby, en anglais. (Plus particulièrement : Tacite - Suétone - Pline le Jeune - Flavius Josèphe)
  • Pour ces auteurs, comme pour la plupart des autres auteurs auxquels le CZ se réfère, on pourra consulter leurs éditions dans la collection Budé (publié par les Belles Lettres), dont les introductions offrent toujours une mise en place historique.
  • Pour vérifier l'usage du mot "quasi" chez Pline le Jeune, on peut tout simplement faire une requête sur un moteur de recherche avec les mots : "Plinius" et "quasi " (avec une espace après quasi). On obtient ainsi une série de référence à des lettres de Pline, en latin, dont on contrôlera la traduction dans la collection Budé. (un exemple : correspondance, IX, 23:1&3).
  • Au sujet de Photius : le témoignage de Photius sur Juste de Tibériade est cité par de plusieurs auteurs mythistes (voir, dans notre bibliographie mythiste, la conférence de Prosper Alfaric). Pour en savoir plus sur Photius, sa notice dans l'encyclopédie catholique, avec une orientation naturellement catholique, mais présentant aussi le point de vue orthodoxe.
  • De nombreux historiens recoupent les renseignements des auteurs non-chrétiens avec le témoignage des évangiles pour essayer de mieux comprendre les origines du christianisme. On est naturellement loin du mythisme... L'un de ces auteurs est Marie-Françoise Baslez, "Bible et Histoire", Fayard, 1998.
  • Du même auteur, Saint Paul dans la collection des biographies, toujours chez Fayard, permet de replacer la correspondance de Saint Paul dans le contexte de ses voyages missionnaires.
  • La plupart des introductions ou des livres de vulgarisation aux origines chrétiennes comporte un chapitre consacré aux témoignages non-chrétiens. L'un des meilleurs est probablement celui de Graham Stanton, Parole d'Évangile ?, Le Cerf, 1997.

Annexes : le soupçon sélectif

Etant donné que la zététique est "l'art du doute", il nous semble intéressant de revenir sur la façon dont le cercle zététique utilise le doute dans sa démonstration.

Nous avons vu que le doute professé par le CZ n'avait de systématique que la façade, et que quand un témoignage pouvait être favorable au mythisme, la sévérité du CZ s'en trouvait d'un coup adouci. Une bonne partie de la méthode mythiste repose sur le soupçon sélectif : on accepte sans discuter ce qui nous arrange, on critique systématiquement les documents qui nous gênent, et lorsqu'on a montré qu'ils présentaient des incohérences, on en conclut que tout ce qu'ils racontent est faux.

Nous avons dit plus haut ce que l'on pouvait penser de l'invocation du silence de Pline l'Ancien sur Jésus et les chrétiens. Notre raisonnement était fondé sur l'examen rationnel du silence de Pline. Voici en guise de comparaison, ce qu'aurait pu être une critique "à la zététique" du témoignage de Pline l'Ancien.

On pourrait commencer par émettre un "doute" quant à la "prétendue" visite de Pline l'Ancien en Palestine. De quelle preuve le CZ peut-il se prévaloir pour affirmer la réalité de cette visite ? A-t-il le témoignage d'un écrivain extérieur, indépendant qui garantisse cette visite ?

Dans un second temps, on ferait remarquer que Pline l'Ancien est un auteur qui raconte comme s'il y croyait des légendes d'hommes à tête de chien, d'oiseaux qui font leur nid au creux des vagues, et de pays où les habitants ont les oreilles si grandes qu'ils s'enroulent dedans comme dans des couvertures, pour dormir. Et Pline l'Ancien appelle cela de l'Histoire Naturelle... On pourrait présenter Pline l'Ancien comme un fantaisiste, en énumérant la liste des détails loufoques dont il épice ses descriptions. On en concluerait que la visite de Pline en Palestine est suspecte, et que Pline de toute façon est plus proche du romancier que du témoin objectif.

Nous ne développerons pas plus cet argument d'école. L'exercice manquerait d'intérêt. Mais il ne donnerait pas de résultats plus aberrants que les démonstration du CZ.

Pour notre part, confrontés au silence de Pline l'Ancien sur les chrétiens, nous avons préféré remettre ce témoignage dans son contexte historique et géographique : nous rappelant que les chrétiens à l'époque constituent une communauté toute nouvelle, sûrement beaucoup plus petite que la communauté des esséniens, nous estimons que les chrétiens n'avaient aucune raison d'intéresser le géographe romain. Cette conclusion est en parfaite concordance avec l'existence de Jésus.

 

 
 




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