le site de Srg Hereses

plan :
- présentation du site de Srg Hereses
- la crucifixion dans l'iconographie byzantine
- une lecture de Pierre le Vénérable

Présentation du site de Srg Hereses

On aurait voulu faire une caricature du mythisme qu'on n'aurait pas fait mieux : pour l'auteur qui se cache derrière ce pseudonyme de Hereses, la vie terrestre de Jésus est une invention du moyen age. Cette conclusion peut sembler étrange lorsqu'on connaît les traces scripturaires du christianisme datant du premier millénaire. Mais la théorie, aussi déconnectée soit-elle des faits, ne fait qu'utiliser les recettes habituelles du mythisme en les poussant simplement au bout de leur logique.

Pour lui, la crucifixion de Jésus est donc une invention du moyen age. Manifestement, cet élève de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes n'a jamais entendu parler des nombreux codex qui nous sont parvenus, datant de l'antiquité tardive ou de l'époque carolingienne, présentant les quatre évangiles racontant tous quatre la résurrection. Ou peut-être estime-t-il que ces codex sont des faux ?En tout cas, il n'en dit mot. Cela suffit à signifier la plaisanterie.

Nous proposons une analyse de deux petits extraits. Le premier est un exemple d'utilisation abusive de l'argument du silence, dont Hereses fait un usage caractéristique. Il l'applique ici à l'absence de représentation de la crucifixion dans l'iconographie byzantine.

Le second exemple est un formidable contresens sur l'adversus judeos de Pierre le Vénérable. Nous avons choisi cet extrait car il présente en quelques lignes plusieurs erreurs caractéristiques, qui révèlent le chemin suivi par l'auteur pour bâtir la démonstration artificielle d'une conclusion préconçue.


La crucifixion dans l'iconographie byzantine

Analysant l'iconographie des premiers siècles du christianisme qui montre le Christ en gloire, y compris sur la croix, et ne présente jamais d'image du crucifié souffrant, Hereses demande :

Quel rapport pouvait-il y avoir entre ces diverses illustrations d'un même thème de gloire éternelle, et des textes sacrés décrivant la passion d'un homme-dieu? Aucun assurément. La conclusion provisoire à tirer s'énonce aisément: les évangiles de ces temps ne contenaient pas de scènes-doloristes relatives au supplice de la croix.

Il nous semble difficile de construire une argumentation rigoureuse à partir de l'iconographie byzantine sans évoquer les controverses de la crise iconoclaste. Celles-ci ont pu influer sur les représentations du christianisme à Byzance, en particulier contre les représentations, par nature figurative, des épisodes de la vie de Jésus. De même, le statut théocratique du pouvoir byzantin peut expliquer la prévalence de représentations glorieuses du Christ (Christ Pantocrator) contre les représentations de Jésus en condamné à mort. Nous ne prétendons pas mener ici une analyse de l'art byzantin, mais soulever quelques détails de contexte dont l'absence dans l'analyse de notre auteur permet d'expliquer ses curieuses conclusions.

Hereses s'appuie ici sur l'argument du silence, sans aucun respect des précautions méthodologiques qui devrait accompagner sa mise en oeuvre. Cet argument du silence fonctionne sur l'idée qu'un auteur ou un document aurait dû parler de tel ou tel chose, et que s'il ne le fait pas, on doit y voir une anomalie. Pour que l'argument du silence soit valable, il faut donc que celui qui l'utilise prouve l'anomalie du silence.

L'argument du silence n'est pas considéré comme un argument fort en histoire, et il doit être manié avec précaution, car il n'est pas évident d'envisager tous les motifs qui permettraient d'expliquer pourquoi un document est silencieux sur un sujet donné. Le document n'est il pas tronqué, l'auteur avait-il connaissance de ce fait, avait-il des raisons d'en parler, ne l'a-t-il pas fait en une autre occasion... ? La palette des raisons permettant d'expliquer simplement le silence d'un document est très large, et l'historien le plus scrupuleux peut toujours en oublier. Voilà pourquoi l'argument du silence doit toujours être utilisé avec prudence par l'historien, et pris cum grano salis par le lecteur.

Les mythistes ne s'embarrassent pas de prudence, et nous en voyons un ici qui ne cherche même pas d'explication alternative à l'absence de représentation de la crucifixion dans l'art byzantin : si les représentations de la crucifixion manquent, alors la crucifixion n'est pas connue à cette époque. On pourrait démontrer sans plus d'invraisemblance que si les artistes précolombiens n'ont pas laissé de représentation de la parturition humaine, c'est qu'ils devaient probablement naître dans des oeufs.


Une lecture de Pierre le Vénérable

Rappelant que Pierre le Vénérable, abbé de Cluny au XIIe siècle, demande à ses contemporains de ne pas persécuter les juifs qui sont pour les chrétiens le rappel de la mort du Christ, Hereses demande :

Mais qu'était-il besoin de transformer les Juifs en mémento perpétuel de la mort du Seigneur ? N'a-t-on pas depuis onze siècles les évangiles ? Leur lecture ne suffirait-elle pas à nous rappeler continuellement le drame de la Croix ? Leur témoignage de " Livres sacrés ", inspirés par l'Esprit Saint, ne serait-il plus crédible ?
La solution avancée par Pierre le Vénérable ne peut s'appuyer que sur une seule constatation: le silence absolu des évangiles, à ce sujet-là, en ce moment là.

Cette démonstration mérite que nous nous y arrêtions afin d'en considérer tous les termes, car elle concentre en quelques lignes au moins deux sophismes couramment utilisés par les mythistes, et plus généralement par les amateurs d'histoire frelatée.

1- Le memento perpétuel de la crucifixion

Il n'est pas illégitime de s'interroger sur les buts que poursuit Pierre le Vénérable lorsqu'il fait du peuple juif un témoignage de la crucifixion. Quelles sont ses motivations, quels sont les objectifs qu'ils visent exactement avec cet argument ?

Mais, par la forme donnée à cette question ("...qu'était-il besoin de transformer les Juifs en mémento perpétuel de la mort du Seigneur ?") et par l'enchaînement de questions qui suivent ("N'a-t-on pas [...] les évangiles ? Leur lecture ne suffirait-elle pas[...] ?") Hereses détourne l'interrogation et la restreint, en essayant de faire croire que si Pierre le Vénérable transforme les juifs en memento de la crucifixion, c'est qu'il a besoin du memento en tant que tel. Ce faisant, Hereses invente un problème factice qu'il substitue au problème auquel Pierre le Vénérable était réellement confronté.

En effet, le vrai problème auquel Pierre le Vénérable cherche à répondre, c'est celui du statut subalterne des juifs dans la société chrétienne du XIIe siècle et des persécutions qu'ils subissent. Pierre le Vénérable, en défenseur de l'ordre établi, tient une position modérée sur ce point. Il recommande une forte domination des juifs par les chrétiens, mais il est contre les massacres, et il cherche des arguments propres à convaincre les chrétiens les plus fanatiques.

Et la "solution" qu'adopte l'abbé de Cluny, c'est justement de présenter les juifs comme des témoins de la crucifixion. Des témoins malgré eux, certes, mais des témoins malgré tout. Pierre le Vénérable voudrait que les chrétiens voient les juifs comme une sorte de relique, et que ce statut de relique les protègent des exactions et des crimes de masse.

Ainsi, si Pierre le Vénérable transforme les juifs en memento de la crucifixion, ce n'est pas pour disposer d'un memento de la mort de Jésus, mais pour que transformés en memento, les juifs s'en trouvent comme sacralisés, et ainsi protégés des atrocités commises à l'époque par certains chrétiens. Ce n'est pas le memento en tant que tel qui intéressait Pierre le Vénérable, mais la protection que son exégèse doit apporter aux juifs, dans le cadre d'un problème d'ordre public.

En laissant croire le contraire, en transformant ce problème d'ordre public en un problème purement théologique, Hereses occulte la préoccupation première de Pierre le Vénérable, qui est la place des juifs dans la société chrétienne du XIIe siècle. La lecture qu'il propose de l'ouvrage de l'abbé de Cluny est un contresens complet.

2- Une exclusive abusive

Même si nous pouvions admettre que Pierre le Vénérable recherchait effectivement dans le peuple juif un témoignage de la crucifixion, le raisonnement d'Hereses resterait construit sur un sophisme.

En effet son raisonnement est basé sur l'idée que si PLV est allé chercher un témoignage de la crucifixion chez les juifs, c'est que nécessairement ce témoignage ne se trouvait pas dans les évangiles. Et si au XIIe siècle les évangiles portaient témoignage de la crucifixion, alors il n'y avait pas besoin d'en chercher une confirmation supplémentaire dans l'existence des juifs : un seul témoignage, celui des écritures sacrées, aurait dû suffire. Ainsi, selon Hereses, le témoignage des évangiles et celui du memento des juifs sont exclusifs. On n'aurait pas eu besoin du second si le premier avait été disponible.

Cette exclusive ne repose évidemment sur aucune base solide. Il suffit pour s'en convaincre de penser à l'appétit que les chrétiens manifestaient pour les reliques, ces témoignages supplémentaires de la vie du Christ et des saints. Demander que le chrétien du moyen age s'en tienne à une seule preuve, c'est comme lui demander de cracher sur la Sainte Croix le jour où il trouve un clou de la crucifixion. En réalité, il n'y a aucune raison pour que, connaissant la crucifixion par les évangiles, les hommes du moyen age aient alors méprisé les autres témoignages portés à leur connaissance. Tout le raisonnement de Hereses repose sur une exclusive artificielle, une pétition de principe démentie par les faits.

3- Une curieuse constatation

Nous avons montré que lorsqu'il parle de la "solution avancée par Pierre le Vénérable", Hereses se réfère à un problème qu'il invente et attribue faussement à l'abbé de Cluny. Arrêtons nous maintenant sur la façon dont il introduit sa conclusion : "La solution avancée par Pierre le Vénérable ne peut s'appuyer que sur une seule constatation: le silence absolu des évangiles, à ce sujet-là, en ce moment là." Nous sommes à la fin d'une démonstration ; quelle est donc cette "constatation" qu'Hereses introduit ici dans le raisonnement, sinon la conclusion de son raisonnement ?

Une constatation est un fait observable, une affirmation dont la vérité est indéniable, parce que chacun peut la contrôler. Est il possible de "constater" le silence des évangiles du haut moyen age sur la crucifixion ? Évidemment pas. Hereses peut soutenir avoir démontré ce silence, il n'a pas le droit de le transformer en "constatation".

Par cette imprécision de langage qu'on pourrait croire innocente, notre historien en herbe tente de faire passer pour acquis, pour irréfutable parce que directement observable, une affirmation qui n'est que la conclusion de son raisonnement

Peut-être son système a-t-il pris une telle consistance à ses yeux qu'il le considère comme un fait établi dans le moment même où il cherche à le démontrer. Sinon, il faut se le représenter conscient que son édifice ne tient pas debout et tentant de camoufler sa conclusion hasardeuse en "constatation".

Conclusion

Tout le raisonnement de Hereses repose sur une exclusive artificielle, écrivions nous quelques paragraphes plus haut, mais nous voyons maintenant comment cette exclusive a été construite : déjà pénétré de sa théorie d'une création tardive des évangiles, Hereses découvre le texte de Pierre le Vénérable. Peut-être est-ce même l'un de ses professeurs à l'EPHE qui le lui a mis entre les mains, espérant ainsi lui ouvrir les yeux sur ses curieuses théories. Mais Hereses tient plus à l'originalité de sa construction qu'à sa vraisemblance : il faut trouver un chemin qui rendent le texte de Pierre le Vénérable compatible avec la théorie.

Pour arriver à sa conclusion, Hereses a dû procéder à deux erreurs conjointes. La première résulte du travestissement des intentions de Pierre le Vénérable, la seconde est le fruit d'une exclusive injustifiée. Ces deux erreurs ne sont donc pas fortuites, elles s'enchaînent dans le même mouvement de pensée ; chacune indépendamment de l'autre, ces deux erreurs sont nécessaires à la validité du raisonnement. Une seule des erreurs dénoncées, et c'est l'édifice qui s'écroule : c'est bien pour arriver à une conclusion décidée d'avance que la logique et les faits ont été ainsi brutalisés.

Y a-t-il pour nommer cela en français un meilleur terme que celui de malhonnêteté intellectuelle ?


références :
 
 




Accueil
 
Plan du site
 
Tête de section
 
Haut de page
 
Critique suivante