Introduction

La segmentation de la thèse classique en trois thèses indépendantes

Présentant les thèses en présence quant à l'existence de Jésus, le CZ nous demande de discerner cinq tendances : entre la thèse mythiste (inexistence de Jésus) et l'intégrisme qui prend les textes sacrés au pied de la lettre, il faudrait distinguer trois autres théories :

  • une thèse séculariste, qui prétend identifier dans les évangiles les interpolations tardives pour reconstituer par soustraction la vérité historique sur Jésus,
  • une thèse minimaliste qui soutient qu'une telle tâche est impossible, le personnage historique ayant été effacé par la légende,
  • et une thèse cryptique qui voit en Jésus autre chose que ce que les évangiles en disent (un essénien, un révolté, etc.).

Pour celui qui s'intéresse à la thèse mythiste, cette classification est tout d'abord surprenante. Au regard du mythisme, l'historien aurait envie de regrouper les thèses séculariste, cryptique et minimaliste en une seule : ces trois thèses affirment que le christianisme, sous ses différentes manifestations et sous ses différents aspects, ne peut pas s'expliquer si l'on ne suppose pas qu'un homme à l'origine a lancé le mouvement. Jésus est l'événement d'origine dont les traces sont parvenues jusqu'à nous, plus ou moins déformées selon la thèse examinée, et ne permettant donc qu'imparfaitement de remonter à l'événement d'origine, c'est à dire à Jésus.

Nous parlerons donc, pour l'ensemble de ces trois thèses, de thèse classique. Il existe au sein de la thèse classique des différences de point de vue quant aux connaissances historiques que l'on peut avoir sur Jésus. Mais sur la question première qui nous occupe ici, celle de l'existence de Jésus, la position des trois thèses est dans les trois cas la même : oui, Jésus est un personnage historique.

Pourquoi a-t-il paru important au CZ de segmenter la théorie classique en trois ? Pour essayer de construire un dégradé artificiel entre la position aujourd'hui massivement acceptée et la thèse mythiste ? Pour faire croire que Loisy n'était pas loin d'être mythiste ?

Ce serait aller contre la réalité des faits : si la confiance que chaque historien attribue à tel ou tel élément des évangiles peut faire l'objet de débat, l'existence de Jésus n'est mise en doute par aucun professionnel, et Alfred Loisy lui-même, prêtre excommunié et professeur au collège de France, n'a jamais accepté la thèse mythiste, qu'il qualifiait de miroir aux alouettes.

Quel est le but de la démonstration du CZ ?

Après avoir présenté les différentes thèses qu'ils considère dans le débat sur l'existence de Jésus, le CZ présente ainsi l'objectif de sa démonstration :

Rejetant sans ambages la thèse traditionaliste, outrancière et antiscientifique, le Cercle Zététique n'a pas la prétention de trancher ici de façon définitive entre les autres options ni d'ériger un nouveau dogme historique. Néanmoins, il lui paraît anormal, sur un strict plan argumentaire, que la thèse mythiste soit aujourd'hui ignorée, méprisée, par les " professionnels de la profession ". Il lui semble même scandaleux qu'une telle thèse soit systématiquement occultée - et demeure ainsi inconnue du grand public.

Lorsqu'il écrit que la thèse traditionaliste est "outrancière et antiscientifique", le CZ oublie de préciser que la thèse mythiste n'est pas mieux considérée chez les historiens de métier : si vous avez un historien parmi vos connaissances, demandez lui donc, de la thèse traditionaliste ou mythiste, laquelle lui semble la plus outrancière et la plus absurde.

Si la thèse mythiste est aujourd'hui ignorée et méprisée, peut-être est-ce à raison ? Peut-être les historiens ont-ils des arguments solides pour rejeter la thèse mythiste ? Peut-être ont-ils de bonnes raisons d'accepter l'existence de Jésus comme un fait établi ?

Ce sont donc ces raisons que l'on s'attend à voir discutée. Or la méthode du CZ consiste trop souvent en une critique superficielle du dogme religieux. On va nous parler de la faiblesse des fondements sur lesquels reposent la virginité mariale, la bûche de Noël et les dates des fêtes religieuses. Ce qu'on nous en dit n'est pas obligatoirement faux, mais en quoi cela prouve-t-il que Jésus n'a pas existé ? La méthode du CZ est plus souvent une critique voltairienne du dogme religieux qu'une critique scientifique des positions des historiens.

Des historiens véritables sont pourtant cités par le CZ : Léon-Dufour, Dupont-Sommer... Mais à chaque fois, le CZ va abonder dans leur sens, et utiliser leur propos au profit du mythisme. Ne nous trompons pas, aucun de ces historiens n'est mythiste, et le second au moins l'a fait savoir dans ses écrits. Pourquoi ne pas l'avoir cités pour lui répondre ?

À deux reprises seulement le CZ cite un auteur pour le critiquer. Le premier est Raffard de Brienne, chrétien conservateur, qui s'est fait un nom en défendant l'authenticité du Saint Suaire contre les datations scientifiques. Le second est Messadié, journaliste et romancier à succès. Dans l'un comme dans l'autre cas, on est au marge de l'Histoire, loin des arguments, des méthodes et des idées sur lesquels les historiens travaillent aujourd'hui.

Nous nous trouvons ainsi dans la curieuse situation où le CZ utilise et cite des historiens, sur des points anodins, lorsque leur thèse peut servir la sienne, mais les néglige lorsqu'ils s'opposent au mythisme. Et lorsque le CZ accepte de se frotter aux idées d'autres auteurs, ce ne sont plus des historiens reconnues, mais au mieux un vulgarisateur laborieux et un catholique intransigeant qui ont les honneurs de sa réfutation. Est-ce là la meilleure méthode pour convaincre "les professionnels de la profession" de la validité de la thèse mythiste ?

La méthode du soupçon

La double introduction du texte du CZ comporte, après cette définition des théories en présence, une évocation des enjeux du débat : il s'agit rien de moins que de libérer les études des origines chrétiennes du carcan dans lequel elles sont tenues bloquées :

Le CZ revendique le droit du public à une histoire démythifiée des religions, établie selon les critères habituels en usage en histoire. Il estime qu'il est dommageable que l'étude des origines chrétiennes reste un domaine réservé, dans lequel textes et documents échappent à une méthode critique de routine. Il réclame le droit des historiens à poser publiquement des questions qui ne souffrent pas débat pour des raisons injustifiées.
Au premier abord, la thèse mythiste paraît folle, excessive, impossible. Comme l'inexistence de Noé paraissait folle aux Hébreux (et aux catholiques il y a à peine un siècle), comme celle d'Osiris paraissait excessive aux anciens Égyptiens, comme celle de Guillaume Tell paraissait impossible aux nationalistes suisses...

Le raisonnement du CZ pèche ici par méconnaissance de la façon dont la science progresse. En effet, si la thèse mythiste était vraie, il serait humain qu'un grand nombre d'historiens chrétiens la refuse, mais il y en aurait sûrement quelques uns qui l'accepteraient, parce qu'il y a des failles dans toutes les croyances, aussi fermes soient-elles, et que c'est le métier d'un historien que de se remettre en question. C'est bien de cette façon que l'inexistence de Guillaume Tell a fini par s'imposer à l'évidence des historiens suisses, et que celle de Noé a gagné de même les historiens juifs et chrétiens. Pourquoi n'en a-t-il pas été de même avec l'histoire de Jésus, alors que le mythisme est une idée vieille déjà de plus de deux siècles ?

Pour expliquer la faible estime que les historiens accordent au mythisme, le CZ allègue le poids de l'église sur notre société et sur nos consciences, qui tiendrait enchaînée l'honnêteté de nos chercheurs en histoire :

[...] il existe un certain nombre de blocages dans le mode de fonctionnement de l'Église, qui l'empêchent de nuancer des affirmations essentielles - celles présentées à l'adhésion des fidèles comme " vérités de foi " par le magistère extraordinaire de l'Église (les dogmes, du grec dokeo, " je crois "). Le vulgum pecus catholique n'a pas le droit de s'interroger à leur propos, puisqu'elles sont une partie intégrante de la Révélation. Or certaines font directement référence aux Écritures: la virginité de Marie, le sacrifice expiatoire de Jésus sur la Croix, son procès placé sous Pilate (seul personnage historique apparaissant dans le Credo)...

On répondra à cela que le joug de l'Église romaine semble aujourd'hui bien peu efficace. Prenons pour exemple Marie-Émile Boismard, père dominicain et professeur à l'École Biblique et Archéologique de Jérusalem, qui remet en cause les fondements historiques de la virginité de Marie, ou le pape lui-même qui affirme que les preuves de l'existence de Jésus ne sont pas de nature historique. Quiconque a vu l'émission Corpus Christi, diffusée sur la chaîne culturelle ARTE, a pu se rendre compte qu'aujourd'hui sur les questions historiques l'Église romaine a une position tout à fait libérale.

Mais on peut aller plus loin : le monde des historiens ne coïncide pas partout avec celui des chrétiens. Il y a des historiens juifs ou athées qui se moquent pas mal de l'Église et de ses dogmes, et que seul un travail honnête intéresse. Reconnaissons que ces historiens ne sont pas spécialement séduits par la thèse mythiste. Que Jésus soit le Guillaume Tell des chrétiens, cela est concevable. Que ce soit celui des historiens en général sera plus difficile à faire avaler. C'est pourtant l'ensemble de la communauté des historiens, sans distinction de religion, qui refuse de goûter la théorie des mythistes. Aura-t-on l'impertinence de demander la raison de cela ?

Nous nous en sentons le droit, car le CZ lance de graves accusations qu'il se dispense étrangement d'étayer : la situation hors norme des origines chrétiennes au sein des études d'Histoire, le blocage que l'Église ferait subir à la recherche, l'impossibilité d'aborder "des questions qui ne souffrent pas débat pour des raisons injustifiées", les documents échappant "à une méthode critique de routine", le "malaise qui confine à la panique" lorsqu'on met en doute la thèse standard... Aucune de ces allégations ne reçoit le plus petit commencement de preuve, la plus petite bribe d'illustration, puisque, nous l'avons dit plus haut, le CZ ne daigne pas citer les travaux des historiens auxquels il s'oppose.

Et puisque le CZ a eu le mauvais goût d'ouvrir sa controverse scientifique en invoquant contre certains leurs convictions religieuses, pourquoi ne pas renverser l'accusation ? Pourquoi ne pas nous demander si le CZ n'a pas lui aussi des raisons idéologiques inavouables pour remettre à la mode une thèse historique déconsidérée ? Ne pourrait-on pas suspecter ici un avatar du vieil anticléricalisme dans son combat contre la religion ?

Répondre affirmativement à cette question en introduction serait nous lancer nous aussi dans un procès d'intention. Examinons plutôt le problème sur le fond : le CZ est-il en mesure de nous fournir quelques bonnes raisons de douter de l'existence de Jésus de Nazareth ? Et que valent ces raisons ?

C'est ce que nous allons examiner maintenant avec chacune des quatre parties qui composent le corps de l'article du CZ :

1- pauvreté des sources profanes

2- Les Évangiles et la question de leur datation

3- Les récits de la Nativité

4-La Passion du Christ

Conclusion

 
 




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